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Le blog "langue-bretonne.org"
27 février 2010

Comment peut-on être breton ? Le livre a 40 ans

Lebesque_Bretons197Le nouveau numéro du magazine Bretons arrive en kiosque, alors que je n'ai pas encore parlé ici du précédent, comme j'en avais l'intention. D'habitude, Bretons met plutôt en couverture des personnalités connues : on s'en rend bien compte avec les unes reproduites sur le calendrier 2010 (contesté) du CMB.  En mars, c'est Yann Tiersen, mais en février, c'était Morvan Lebesque : c'était assez inattendu dans la mesure où le personnage, s'il n'est pas tout à fait méconnu, n'est évidemment plus dans l'actualité. Morvan Lebesque est en effet décédé en 1970.

Un livre célibrissime
C'est aussi cette année-là qu'il a publié un livre "célibrissime" (le mot est de Daniel Le Couédic) : "Comment peut-on être breton ?" Quarante ans plus tard, Maïwenn Raynaudon-Kerzerho revient sur cet événement dans Bretons, en le présentant comme étant toujours "au cœur de l'actualité". Est-ce si sûr ?
Le premier article est consacré à la biographie du journaliste et de l'écrivain. Les années de jeunesse sont décrites comme "une tache indélébile" et ne sont pas occultées. Dans les années 1930, Morvan Lebesque a en effet fréquenté Breiz Atao, et surtout un micro-parti d'extrême-droite et antisémite. Sous l'Occupation, à Paris, il écrivait dans des journaux collaborationnistes comme  Je suis partout.
Cette période de sa vie est maintenant bien connue, depuis la communication détaillée et étayée qu'a présentée Daniel Le Couédic lors du colloque d'histoire organisé par le CRBC à Brest sur "Bretagne et identités nationales pendant la seconde guerre mondiale". Je me souviens des réactions étonnées et incrédules d'une partie de la salle ce jour-là.

Un livre qui résonne
"Puis, viennent les années Canard."  Et la notoriété, du fait de la chronique qu'il tient dans le journal satirique pendant 18 ans.
Le 1er mars 1970 enfin, Morvan Lebesque publie un livre "qui surprend, bouleverse et résonne comme un testament". "Comment peut-on être breton ?" a, nous dit M. Raynaudon-Kerzerho, marqué toute une génération de Bretons, leur rendant leur Lebesque_livre198fierté et légitimant les thèses régionalistes. C'est vrai.
Je me souviens de l'avoir moi-même rencontré une fois à la fin des années 60, alors que j'étais étudiant, et j'avais bien évidemment été impressionné : Morvan Lebesque, c'était quelqu'un. Le rendez-vous avait eu lieu à l'Hôtel de l'Europe à Morlaix. Armand Keravel m'avait invité à l'accompagner : tous deux avaient évoqué la manière dont lui allait de plus en plus s'impliquer pour la cause de la Bretagne. Le journaliste était affable, à la fois déterminé et enthousiaste. Comme il l'écrira dans son livre, il se voulait "Breton, Français et citoyen du monde."
Je viens de relire dans "Comment peut-on être breton ?" les pages qui concernent la langue. Dans le chapitre 4, qui s'intitule "La parole assassinée", le ton est passionné, lyrique, presque épique. Morvan Lebesque s'emporte, vitupère, dénonce, et sautille d'une époque à l'autre et de digression en digression : il parle d'ailleurs autant du français et de Voltaire que du breton et de La Villemarqué (qu'il admire) ou du "vieux Luzel" (qu'il n'aime pas), autant de Bécassine et de Botrel (qu'il déteste) que de Citroën (qu'il dénonce puisqu'elle vient alors de s'installer en Bretagne pour exploiter les ouvriers qui n’ont pas le droit de se syndiquer).
Vers la fin du livre (p. 171-184), il fait l'apologie de "Gwalarn", la revue littéraire fondée par Roparz Hemon (et Olier Mordrel) en 1925. S'il ne comprend pas pourquoi "cet événement qui s'est passé à quatre cents kilomètres de Paris […] demeure inconnu en France", le ton est ici beaucoup plus posé, plus réfléchi : M. Lebesque est convaincu par la démarche et par le sens de Gwalarn et il veut convaincre. Il a "la foi" : "je crois aux peuples qu'on a vaincus, soumis, humiliés, écrit-il à la dernière page de son livre. Il est sans honneur de voler son nom à un peuple."

Un livre daté ?
Je n’ai pas relu les pages que M. Lebesque a rédigées sur l’histoire, sur les colonisés, sur ce qu’il présente comme une saga de l’Emzao. Concernant la langue, je relève bien évidemment des affirmations fortes : « le breton n’est ni pour ni contre le français. Il est. Il doit vivre, se développer librement… » Je dois dire cependant que ma relecture m'a laissé quelque peu perplexe. Il est vrai que la recherche et le temps nous ont beaucoup appris en quelques dizaines d'années sur la langue bretonne et sur l'histoire (et sur bien d'autres sujets) : du coup, certaines affirmations paraissent des approximations, et certaines analyses sont peut-être dépassées. Morvan Lebesque a, c'est sûr, le sens de la formule : "on le parle de moins en moins et de mieux en mieux, dit-il à propos du breton, ceux qui le parlaient ne le parlent plus et ceux qui ne le parlaient plus recommencent à le parler". Tout n'est pas faux dans ce constat, mais tout n'est pas exact non plus.
"Comment peut-on être breton ?" serait-il daté ? Il l'est bien sûr, puisque cela fait précisément 40 ans qu'il a été publié et que le propos fait souvent référence à l'actualité de l'époque. Le magazine Bretons publie plusieurs témoignages (ceux d'Edmond Hervé, d'Erwan Chartier, de Tudi Kernalegenn…) sur l'impact extraordinaire du livre au moment de sa parution. Mais il manque ne serait-ce que la présentation et a fortiori une analyse du discours de l'auteur et des thèses qu'il défendait.
Ce livre avait aussi un sous-titre, qu'on oublie parfois : "Essai sur la démocratie française." Morvan Lebesque considérait en effet que "le monde n'a de sens que dans le respect des pluralismes". Qui aujourd'hui ne serait pas d'accord avec un tel propos ? Le problème n'est que de savoir si tous lui donnent le même sens.

Pour en savoir plus :

Morvan Lebesque. Comment peut-on être breton ? Essai sur la démocratie française. Ed. du Seuil, 1970. Disponible dans la collection Points.
40 après, le livre de Morvan Lebesque au cœur de l'actualité. Bretons, n° 51, février 2010, p. 38-43.
Erwan Chartier. Morvan Lebesque, le masque et la plume d'un intellectuel en quête de Bretagne. Ed. Coop Breizh, 2007.
Daniel Le Couédic. Les étranges destinées de Dézarrois et Lebesque ou La complication de la guerre mise à nu par ses Intellectuels, même. In : Bretagne et identités nationales pendant la seconde guerre mondiale / dir. Christian Bougeard. Brest : Centre de Recherche Bretonne et Celtique, 2002.

Commentaires
F
Certainement daté mais pas moins intéressant pour autant, surtout si on se livre à un travail comparatif entre les ambitions qu'il exprime pour la Bretagne, son lyrisme, son optimisme,et les froids arguments de campagne des candidats bretons aux régionales en cette année 2010!<br /> Séduit, sans doute, par cet élan, le géographe-socialiste grand teint, Michel Phliponneau dédiait d'ailleurs en 70 son fameux "Debout Bretagne": A tous les jeunes Bretons et... A Morvan Lebesque....
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Le blog "langue-bretonne.org"
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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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