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Le blog "langue-bretonne.org"
4 mars 2010

Toponymie : un vrai feuilleton, de vrais enjeux

Laz_panneau_villajennouJ'ai toujours dit que la question de la langue bretonne est une question sensible en Bretagne. Il faut croire que celle des noms de lieux l'est aussi. Sur ce sujet, la réaction des Bretons varie d'une année à l'autre. Avant de parler de ce qui se passe en ce moment à Landrévarzec (Finistère), je voudrais rappeler ce qui s'est passé à Plouguerneau (Finistère également) il y a juste un peu plus d'un an.

Plouguerneau
Fin 2008, un collectif des "Gardiens de la mémoire" s'est en effet créé dans cette commune de la côte nord, qui a  recueilli en peu de temps plusieurs centaines de signatures à une pétition sur internet. Le collectif voulait s'opposer à la "destruction des noms de lieux" de la commune. La municipalité de Plouguerneau avait en effet élaboré tout un projet en vue d'attribuer de nouveaux noms de rues et une numérotation aux quartiers qui en étaient jusque là dépourvus, afin de faciliter la localisation
des adresses par les facteurs, services de secours et livreurs.
Mais les nouvelles dénominations proposées ne semblaient pas prendre en compte les noms de lieu existants et les "Gardiens de la mémoire" ne voulaient pas de noms "totalement étrangers à la toponymie locale". Au bout de quelque temps, un compromis avait été trouvé avec la municipalité.

La Poste
Quelques semaines plus tard, en janvier 2009, c'est le Directeur de La Poste pour l'Ouest-Bretagne qui provoquait un tollé : sous prétexte que les nouvelles machines de tri du courrier réclament de la lisibilité et de la précision et parce que les apostrophes du breton perturbaient, paraît-il, la lecture optique, Monsieur le Directeur recommandait "de choisir le français plutôt que le breton pour les dénominations" de rues.
Très rapidement, le Président lui-même, Jean-Paul Bailly, a tenu à préciser que "en aucune façon [La Poste] ne privilégie le français" pour la dénomination des lieux-dits : les nouvelles machines de tri seront adaptées, disait-il, pour reconnaître aussi bien le breton que le français. Les machines sont peut-être ultraperformantes, mais j'ai quand même entendu parler récemment de plusieurs courriers renvoyés à leur expéditeur par les préposés sous prétexte que l'adresse n'était pas rédigée en français.

Landrévarzec

Ce n'est pas du tout la même histoire à Landrévarzec : ce serait même presque l'inverse. Il y a bientôt six mois, 198 nouveaux panneaux de signalisation ont été mis en place dans la commune. Mais sur ces nouveaux panneaux, les noms de lieux n'étaient plus rédigés tout à fait comme sur les anciens auparavant : leur transcription a été homogénéisée avec le concours de l'Office de la Langue Bretonne, pour tenir compte des règles d'orthographe du breton (tout au moins celles de l'orthographe dite "unifiée").
C'est ainsi que, pour faire simple, on n'écrit plus "Ty" comme à l'ancienne, mais "Ti", le "k" remplace les "c" ou les "qu", etc. Problème : il y a quelques semaines, certains habitants ont provoqué "du reuz dans le bourg", pour reprendre le titre de Cathy Tymen dans le Télégramme du 25 février. Mécontents des nouvelles dénominations figurant sur les panneaux, ils les ont tout simplement dévissés et sont allés à la mairie récupérer les anciens pour les remettre à leur place. Et ça ne s'arrête pas là, puisque maintenant ce sont les habitants d'un autre quartier de Landrévarzec qui lancent une pétition pour retrouver eux aussi leurs anciens panneaux avec une graphie à la française.
Tout ça ne s'est pourtant pas fait en un jour ni sans étude préalable. Selon l'Office de la Langue Bretonne, une étude sur la toponymie locale a d'abord été réalisée par un habitant de la commune. Ses préconisations ont été ensuite validées par une commission extra-municipale. Puis c'est le conseil municipal lui-même qui a donné son approbation : à l'unanimité.
La contestation qui vient d'éclore embarrasse donc tout le monde : le maire de Landrévarzec, mais aussi l'Office de la Langue Bretonne. D'autant plus que d'autres communes, comme Tréguennec, qui avaient entrepris la même démarche que Landrévarzec, veulent déjà éviter de se retrouver avec les mêmes difficultés…

Le vote des internautes
Selon les propos du directeur de l'OLB, Philippe Jacq, rapportés dans la presse locale, le but de l'Office est de "rectifier l'orthographe des lieux-dits qui ont souvent été mal orthographiés ou ont subi des erreurs grammaticales au fil du temps ou selon les lieux". Mais, dit-il aussi, le bilinguisme n'est pas l'objectif : "il s'agissait de réaliser un travail patrimonial sur l'orthographe des noms de lieux écrits en breton" (La Télégramme des 26 février et 3 mars).
C'est pourtant en termes de bilinguisme que Le Télégramme vient de poser la question sur son site internet (La question du Guer_panneau_371net, le 3 mars, sur www.letelegramme.com). Elle était ainsi rédigée : "Signalétique : faut-il généraliser le bilinguisme français-breton ?" Il faut croire que le sujet passionne, ou que certains réseaux ont bien fonctionné : alors que d'autres questions n'attirent que quelques centaines ou quelques milliers de votants, là, d'après le quotidien du lendemain, ce sont 13 062 internautes qui se sont exprimés ! 78 % ont répondu "oui", 18 % ont répondu "non" et 4 % sont sans opinion.
N'en déplaise à mes confrères du Télégramme, je suis quand même tenté de considérer qu'une question formulée en ces termes ne fait que rajouter à la confusion. De quoi parle-t-on, en effet ? Jusqu'à présent, quand on parlait de signalétique bilingue breton-français (sur les panneaux routiers, par exemple), il s'agissait essentiellement des noms de commune : en Basse-Bretagne, la plupart ont une dénomination différente en breton et en français. Par exemple : Morlaix et Montroulez. Cette double signalisation tend à se généraliser aux entrées et sorties d'agglomération, ainsi que sur les panneaux directionnels.

Le fameux Croissant…
Mais dans le cas des lieux-dits de Plouguerneau ou de Landrévarzec, on ne parle plus de la même chose. Sauf exception, les lieux-dits n'ont qu'une seule dénomination. C'est vrai qu'elle s'est parfois déformée au fil du temps : tout le monde connaît le cas de "Kroaz-Hent" (qui veut dire "carrefour"), très souvent transcrit "Croissant", comme si on était ici en Turquie, m'avait dit une fois en blaguant Eugène Quéméner, l'ancien maire et conseiller général de Tréflaouénan.
Hollocou_Plourin__8_webCertains de ces lieux-dits sont de dénomination française récente : ce sont par exemple des noms comme "La Croix-Verte" ou "Bellevue" que signalent Pierre Hollocou et Jean-Yves Plourin à propos de la commune du Trévoux, dans leur livre "Les noms de lieux et leur histoire".
Mais la plupart de ces toponymes sont bretons. Et ils n'ont pas toujours été transcrits comme ils le sont aujourd'hui ! Pour prendre un autre exemple dans l'ouvrage de P. Hollocou et J.Y. Plourin, le village de Guilligourgan en Mellac s'écrivait Killigourgant en 1426, Quilygourgant en 1540… Faut-il être pour le bilinguisme intégral en toponymie, y compris en micro-toponymie locale ? Dans ce cas, faudrait-il aussi traduire aujourd'hui en français tous ces noms de lieux qui remontent parfois à plus de six siècles ? Et ce n'est pas toujours possible… Et pourquoi dans ce cas ne pas faire de même avec les noms de famille ? Si les Bretons ont protesté il y a quelques mois contre les projets de La Poste, c'est qu'ils ne voulaient pas de ça.

Un problème de méthode ?
Les questions de toponymie sont complexes et touchent à l'identité de chacun : on s'identifie d'une certaine manière au lieu auquel on habite. Le plus souvent, les noms de lieux ont en plus une très longue histoire. Jusqu'à présent, quand on modifiait l'orthographe, cela n'avait pas beaucoup de conséquences. Mais aujourd'hui on voit les toponymes reproduits partout : sur des panneaux, sur le courrier, sur des cartes de visite, sur GPS…
A Landrévarzec, une commission extra-municipale, puis le conseil municipal avaient donné leur aval pour la rédaction préconisée par l'Office de la Langue Bretonne. Il faut croire que ça n'était pas suffisant. L'OLB semble craindre désormais que ce qu'il faut bien appeler l'affaire de Landrévarzec lui rende la tâche plus "compliquée". La solution envisagée à Tréguennec paraît de bon sens : le maire compte organiser une réunion publique pour "présenter ce qu'on veut faire" à la population.
Je me souviens d'avoir animé toute une journée d'étude sur la toponymie occitane, organisée par la région Midi-Pyrénées à Toulouse il y a quelques années. Des Catalans de Perpignan y avaient expliqué comment ils s'y prenaient pour associer la population de chaque commune et de chaque quartier à leur démarche, en partenariat avec l’Université (il y aussi des linguistes et des toponymistes compétents dans le monde universitaire). Car là-bas comme ici, on préfère, je crois, que les noms de lieux soient écrits "comme il faut". Mais comment le faire si la concertation n'est pas suffisante ?
Après tout, c’est la première fois dans l’histoire de notre région qu’une structure, l’OLB en l’occurrence, entreprend le projet de rectifier systématiquement et d’homogénéiser toute la toponymie bretonne. Etant donné l’ampleur du projet et ses implications multiples et considérables, on aurait pu imaginer qu’un grand débat public ait eu lieu à ce sujet dans les instances représentatives. Un jour peut-être ?

Pour en savoir plus :
Je viens de publier un article dans le Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, intitulé : La Poste et la langue bretonne : retour sur un malentendu. Contact : ste.archeo.finistere@wanadoo.fr
Pierre Hollocou, Jean-Yves Plourin. Les noms de lieux et leur histoire. 1. De Quimperlé aux Montagnes Noires. 2. De Quimperlé au port de Pont-Aven. Aux éditions Emgleo Breiz, à Brest, 2 volumes. Ces deux auteurs font un travail remarquable sur la région de Quimperlé puisqu'ils collectent et analysent le maximum de formes anciennes pour chaque toponyme. Dans le second volume, ils considèrent "avec circonspection la généreuse proposition faite depuis peu aux communes de "normaliser"  la graphie des toponymes". Le débat est ouvert.

La base de données toponymiques de l'Office de la Langue Bretonne sur internet : http://www.ofis-bzh.org/fr/ressources_linguistiques/index-kerofis.php

Commentaires
Y
STRAED léonard ?<br /> <br /> STREAD est léonard.<br /> <br /> il ne signifie aucunement RUE, mais petit chemin... voie charretière....<br /> <br /> RU est léonard !
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T
Je suis contre la rectification des toponymes bretons -sauf refondation de l'écriture et orthographe bretonne et encore plus contre le faux-bilinguisme proposé par l'ofis ar brezhoneg à la DDE du Morbihan :<br /> <br /> 1°) FAUX BILINGUISME<br /> exemple :<br /> sur un panneau :<br /> <br /> TY NEVEZ<br /> TI NEVEZ<br /> <br /> ou<br /> <br /> <br /> Bonjour l'utilité !<br /> Cessons de jouer à UBU roi !<br /> <br /> 2°) RECTIFICATION<br /> Quant à la rectification style Croissant - Kroaz hent soit mais le pgros problème restant est le non respect des 2 grandes aires de dialecte :<br /> <br /> un exemple à pontivy d'un nom de rue :<br /> STRAED AR LUDU<br /> <br /> ----<br /> <br /> en breton standard on devrait avoir : STRAED AL LUDU !<br /> <br /> en vannetais pontyvien on devrait avoir : STRAED ER LUDU ou mieux RU ER LUDU car straed est Léonard !<br /> <br /> le ER vannetais devient AR ....<br /> <br /> ---<br /> <br /> 3°) tant que l'othographe "officielle" est le peurunvan (BZH); il y aura des problèmes.<br /> <br /> il faut des assises de l'orthographe bretonne pour remettre des choses à plat.(encore une fois ? oui !)
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P
L'histoire de la langue bretonne est l'histoire d'une langue dominée. Sa toponymie porte sur elle les stigmates de cette domination. C'est en effet par le biais des règles orthographiques de la langue dominante que l'on a couché sur le papier tous ces noms de lieu qui n'avaient auparavant d'existence qu'orale. Jusqu'aux noms de famille, tout a été francisé. Avec comme corollaire assez inévitable : un certain nombre de lieux-dits écrits de façon totalement aberrante. <br /> <br /> Certains y voient une évolution naturelle, l'oeuvre de l'histoire. Pour moi, c'est le symbole éclatant et infamant d'une langue qui n'a jamais été respectée, et qui a toujours dû vivre dans l'ombre du français. De ce point de vue, vouloir conserver une toponymie marquée par cette relation de domination linguistique, n'est-ce pas aussi politique que vouloir sa normalisation ? <br /> <br /> Les Basques, au sortir du franquisme, on massivement fait le choix de basquiser leur toponymes et noms de famille. Ce choix était éminemment politique, et témoignait d'une volonté collective d'émancipation par rapport à la domination espagnole, qui avait pris une forme étouffante sous Franco. <br /> <br /> Nous, Bretons, sommes visiblement à mille lieues d'une telle audace...
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A
"et pourtant cela fait partie de l'histoire. Vouloir changer cela, c'est aller contre l'histoire, donc cela a un coté politique !"<br /> <br /> Quel est le sens de l'histoire ? La colonisation ou la décolonisation ? La disparition des langues amérindiennes (et de la plupart des langues minoritaires) ou leur renouveau, ou au moins leur "survie" ?<br /> <br /> Le cours "naturel" de l'histoire, c'est la victoire des vainqueurs !<br /> <br /> "l'Histoire a forgé ces noms."<br /> L' "Histoire" n'existe pas, l'"Administration", si. Elle peut mêne interdire de porter des prénom bretons (étrangers) pour imposer des prénom français. Et ne s'en et pas privé !
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A
"Personnellement quand je rédige un article en breton j’apprécie qu’on garde l’orthographe francisée même si elle a probablement été imposée à mes aieux il y a très très longtemps de cela"
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Le blog "langue-bretonne.org"
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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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