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Le blog "langue-bretonne.org"
28 décembre 2014

Noms de lieux et noms de personnes en Bretagne : une étude remarquable

Plourin Hollocou-1

C’est à la rive gauche de l’Ellé, depuis Plouray jusqu’au pays de Lorient et l’île de Groix, que se sont intéressés cette fois-ci Jean-Yves Plourin et Pierre Hollocou. Ils avaient déjà publié quatre livres sur la toponymie et l’anthroponymie des pays qui s’étendent autour de Quimperlé jusqu’aux Montagnes noires d‘une part et jusqu’au port de Pont-Aven d’autre part. Leur cinquième volume vient de paraître en cette fin d’année 2014.

Tous ceux qui veulent comprendre l’origine du nom de leur village ou de leur famille devraient y trouver leur compte. Les deux auteurs font preuve de rigueur et de sérieux dans leur propos, cela va de soi. Mais ils ont veillé à ce que les notices qu’ils ont rédigées, parfois savoureuses ou étonnantes, restent lisibles et accessibles à leurs lecteurs. Ils ont signé leur nouveau livre en de multiples endroits, notamment à la librairie Sillages à Ploemeur.

Je dois reconnaître que je ne suis pas moi-même un spécialiste en onomastique. Jean-Yves Plourin et Pierre Hollocou m’ont pourtant demandé de leur rédiger une préface. Je reproduis ce texte ci-après (avec de nouveaux intertitres.

Plourin Hollocou leor

La toponymie : un enjeu pour le XXIe siècle

C'est quand même frustrant de ne pas savoir le breton. Des gens de rencontre et d'autres, à partir de mon site internet ou de mon blog, me demandent souvent de traduire en cette langue qui leur paraît inaccessible, mais qui représente un vécu pour chacun d'entre eux, tel mot ou telle phrase en vue d'un tatouage, d'un départ à la retraite ou d'un anniversaire, voire un mot d'amour, un prénom ou un nom de maison. Je le fais volontiers pour rendre service et sans le crier sur les toits, car je ne veux pas en faire une occupation à plein-temps, et il y a bien d'autres qui peuvent le faire.

L'inverse arrive aussi : je veux dire que mes interlocuteurs veulent connaître le sens d'une expression bretonne qu'ils ont entendue dans leur jeunesse ou, bien plus souvent, celui d'un nom de lieu ou de famille. Dans ces-là, je commence par faire état de mon incompétence relative en toponyme et en anthroponymie, ce qui suscite toujours l'étonnement : quand on est un tant soit peu connu comme bretonnant, on est supposé avoir réponse à tout, n'est-ce pas ? Si la question posée se rapporte à la pratique sociale du breton, son histoire ou son actualité, y compris quelques autres problèmes connexes, je peux en général fournir les renseignements demandés. Pour le reste, je ne réponds que ce que je crois savoir.

Et ce que je sais, c'est qu'il faut de solides connaissances non seulement de la langue actuelle, mais aussi de son histoire, de linguistique, de géographie et parfois d'autres disciplines et d'autres langues pour prétendre travailler sérieusement en onomastique. Il y faut aussi de la méthode, du temps et de la persévérance. Si l'on privilégie l'enquête de terrain, il faut se déplacer, repérer les témoins, interroger le voisinage en vue de collecter toutes les formes orales, voire écrites.

Un inventaire exhaustif

Pour tout ce qui a trait à la toponymie maritime du Léon, c'est ce qu'ont remarquablement fait Mikael Madeg, Yann Riou et Per Pondaven pendant des années sans bénéficier de la moindre aide publique pour mener à bien leur recherche : personne avant eux ne l'avait fait à un tel niveau de finesse et de précision. La qualité de leur entreprise tient à l'exhaustivité des relevés autant qu'à la transcription des toponymes en alphabet phonétique international.

Par respect pour la langue d'usage dont témoignent ces toponymes, ils n'en ont pas proposé d'interprétation française et c'est en breton qu'a été publiée une collection unique de 14 ouvrages recensant l'ensemble des toponymes maritimes de la baie de Morlaix à l'embouchure de l'Élorn (1). Cela n'a pas réellement fait la fortune de l'éditeur. Du moins peut-on escompter qu'un tel inventaire serve de référence à l'avenir pour tous ceux qui s'intéressent au littoral et qu'il reste à tout le moins accessible dans les lieux de savoir et autres médiathèques.

Plourin-1

Une question de méthode et de temps, de passion aussi

Pierre Hollocou et Jean-Yves Plourin font observer pour leur part que dans le domaine des sciences humaines, la toponymie est une discipline de synthèse et qu'on ne peut l'ignorer si l'on vise à la compréhension du passé historique d'un pays, d'une région, de la moindre localité, tout comme à celle de leur patrimoine linguistique. Cette approche de la toponymie n'exclut pas la recherche sur le terrain : l'exemple du toponyme goas que citent volontiers les deux chercheurs et qui n'est pas toujours un ruisseau souligne assez la nécessité d'observations géographiques et topographiques.

Ils veulent surtout se garder d'interprétations hasardeuses ou fantaisistes, ce qui est à la portée de quiconque. Ils savent bien que la plupart des noms de lieux (si ce n'est ceux d'élaboration récente) ou de famille en Basse-Bretagne se sont fixés à des périodes où la langue bretonne y était d'usage exclusif au quotidien. On comprend mieux les raisons pour lesquelles ils ont considéré comme indispensable de retrouver dans toute la mesure du possible les formes anciennes de chacun des noms qu'ils ont répertoriés : non seulement celles des XVe et XVIe siècles, mais aussi celles antérieures au Xe siècle et qui remontent donc à l'époque des cartulaires de Redon ou de Quimperlé.

Cela suppose toute une vie de bénédictin, à savoir une fréquentation particulièrement assidue des archives, la lecture pas toujours aisée de documents anciens, une bonne connaissance de l'histoire de la langue bretonne, voire des autres langues celtiques et… du latin. Cela demande aussi de la passion. Je ne veux pas me répéter, mais l'onomastique est bel et bien une triple question de méthode, de temps et de constance.

Le résultat est là : ce volume est le cinquième que livrent Pierre Hollocou et Jean-Yves Plourin, toujours aussi méthodiquement complet, toujours aussi minutieux. Quel autre chercheur a-t-il, comme eux, publié l'intégralité des formes anciennes qu'il a relevées dans les archives ? Ils ont raison d'insister sur la nécessité tout à la fois de se référer aux graphies anciennes et de réaliser un véritable travail de recherche, de manière à fournir les clés de compréhension indispensables à ceux qui savent le breton comme à ceux qui ne le savent pas (et ces derniers sont aujourd'hui les plus nombreux).

Hollocou-1

Sujet sensible

On ne pourra jamais se passer de travaux comme ceux de Hollocou et Plourin. Il est juste dommage que l'ensemble du territoire breton n'ait pas pu bénéficier de recherches équivalentes. Trop peu nombreux sont, il est vrai, ceux qui travaillent aujourd'hui sur l'onomastique bretonne, y compris dans les universités. Pour sa part, l'Office public de la langue bretonne (OPLB) dispose d'un service « Patrimoine linguistique », lequel « s'attache à la sauvegarde, à la normalisation ainsi qu'à la mise en valeur d’un patrimoine toponymique et patronymique en péril » et se présente dès lors comme « le service de référence » en la matière. Ce service gère une base de données KerOfis qui contenait 79 200 fiches toponymiques à la fin de l'année 2013, dont plus de 32 000 sont mises en ligne sur le site (2).

La normalisation des noms de lieux apparaît comme l'un des objectifs majeurs que se fixe l'OPLB, qui travaille à établir « la » forme bretonne correcte de chaque toponyme. Les lecteurs des précédents ouvrages de P. Hollocou et J.-Y. Plourin savent déjà qu'ils ont fait part de leur circonspection et de leurs réserves sur cette entreprise.

Il est certain que la toponymie est une question sensible, puisqu'elle touche d'une certaine manière à l'identité de chacun et à son histoire personnelle. Il n'est donc pas surprenant que la mise en place de nouveaux panneaux de signalisation avec une nouvelle graphie des toponymes suscite parfois des réactions, comme cela a pu être le cas dans telle ou telle commune (Landrévarzec par exemple) ou dans certains secteurs du pays vannetais. La Poste a elle-même déclenché une belle polémique en 2009, avant de faire marche arrière, en demandant que soient donnés des noms de rues et des numéros d'habitation aux quartiers qui n'en avaient pas, ajoutant que ses nouvelles machines de tri n'aimaient ni les noms de hameaux ni… l'orthographe des noms de lieux exprimés en breton (3). En Haute-Bretagne, l'inscription de la dénomination bretonne des communes parallèlement au nom « français » a également provoqué des débats et généré des questionnements.

Au-delà des strictes études toponymiques, de nouvelles recherches s'orientent aujourd'hui vers une approche sociolinguistique dans le but d'établir les significations sociales actuelles et les enjeux économiques de la présence et de l’utilisation de toutes les formes d’affichage public bilingue et symbolique en région Bretagne, et cette démarche inclut la toponymie. Roseline Le Squère a ainsi engagé dans le cadre de sa thèse (4) une réflexion autour de la langue régionale, s'intéressant aux toponymes et à la publicité en tant que marqueurs forts de l'identité culturelle. Elle a observé les pratiques sociales comme les pratiques discursives et repéré les acteurs, les processus et les moyens de la transmission. Elle a pu ainsi évaluer les motivations, les perceptions, les effets, ainsi que les enjeux de l’affichage bilingue et symbolique.

La toponymie est peut-être l'histoire du passé, mais ce n'est pas une histoire révolue. En Bretagne comme ailleurs, elle est plus que jamais pour les populations concernées un enjeu du XXIe siècle.

L’ouvrage de Jean-Yves Plourin et Pierre Hollocou : Toponymie bretonne et patrimoine linguistique. Des sources de l’Ellé à l’Île de Groix. Brest , Emgleo Breiz, 2014, 394 p.

Il est disponible en librairie ou directement sur le site de l’éditeur : www.emgleobreiz.com

Les notes du texte ci-dessus :

(1) L'ensemble des 14 ouvrages de Mikael Madeg, Yann Riou et Per Pondaven sur la toponymie nautique du Léon est paru aux éditions Emgleo Breiz. 

(2) http://www.fr.opab-oplb.org/. Consulté le 22 août 2014.

(3) Fañch Broudic. La Poste et la langue bretonne : retour sur un malentendu. Bulletin de la Société archéologique du Finistère, tome CXXXVII, année 2008-2009, p. 247-252.

(4) Roseline Le Squère, Une analyse sociolinguistique des marquages du terrtoire en Bretagne : Toponymie, affichage bilingue, identités culturelles et développement régional, Rennes, université de Rennes 2 Haute-Bretagne, 2007, 642 p. ill. Consultable en ligne sur : http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00189245/en/

Id, Cultures régionales et développement économique. Le panorama breton. Dans Dominique Huck et René Kanh (dir.), Langues régionales, cultures et développement. Études de cas en Alsace, Bretagne et Provence. Paris, L'Harmattan, 2009, p. 209-232.

Commentaires
Le blog "langue-bretonne.org"
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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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