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Le blog "langue-bretonne.org"
14 juin 2011

Glenmor : 15 ans après

Glenmor 040C'est à l'âge de 65 ans, à quelques jours près, que Glenmor nous a quittés. C'était le 18 juin 1996. Toute la Bretagne militante s'est retrouvée à Maël-Carhaix pour ses obsèques. Sonneurs et drapeaux bretons l'ont accompagné au cimetière. Cela faisait déjà six ans qu'il ne chantait plus. Mais 4 000 personnes avaient tenu à être là : le chanteur a incontestablement marqué son époque.
J'ai entendu mon premier concert de Glenmor dès le début des années soixante. C'est sans doute l'abbé Bourdellès, l'un des enseignants bretonnants de l'établissement que je fréquentais – la vénérable institution Saint Joseph de Lannion – qui l'avait fait venir. Tous les lycéens avaient été invités au spectacle, ce qui n'était pas si courant. Glenmor, qui ne chantait que depuis peu de temps, n'était pas alors très connu. J'ai eu un peu plus tard l'occasion de l'entendre de nouveau, à Brest ou ailleurs, dans de toutes petites salles ou quelquefois des plus grandes, de discuter avec lui, et - je peux bien le dire – de passer en sa compagnie quelques nuits (presque) blanches. Je lui ai quelquefois rendu visite en son manoir.
J'ai eu bien entendu l'occasion de l'interviewer plusieurs fois, toujours en breton, pour la radio ou pour la télé. Le breton était en effet la langue maternelle de Milig (puisque c'est ainsi que le désignaient ses proches en combinant son prénom Émile et le diminutif breton – ig). Il s'exprimait très bien en breton, même s'il chantait beaucoup plus en français qu'en breton et que la plus grande partie de ses écrits est en français.
Glenmor était un homme de conviction, généreux, spontané, disponible. Pour lui, la Bretagne était une protestation, une idée, un idéal. Il est certain que les Bretons étaient loin de partager tous son point de vue. Sur scène, les chansons du barde résonnaient comme des slogans ou comme des cris de révolte, mais pas seulement : ce sont souvent des poèmes qui parlent avec douceur du pays dont il venait, de la terre, de l'humain. Anarchiste à sa façon, anticlérical assurément, il mêlait nationalisme breton et spiritualité dans une forme de syncrétisme tout à fait personnel. Glenmor était à lui seul un étendard.

L'homme qui a réveillé la conscience bretonne
C'est avec ce titre à la une que le numéro de juin de "Bretons" parle de Glenmor, quinze ans après sa disparition. LeBretons Glenmor 043 magazine se demande si, pour les moins de 30 ans, son nom évoque autre chose qu'une scène au festival des Vieilles Charrues. Sans doute que non, mais dans une Bretagne qui ne vit pas moins que le reste du monde en état de fébrilité permanente, ce n'est pas si surprenant. Laissons du temps au temps.
Dans son article, Maiwenn Raynaudon-Kerzerho propose un certain nombre de repères dans la biographie de Glenmor : je découvre d'ailleurs qu'elle le présente comme Émile Le Scan à l'état-civil (de même que le site "Glenmor an distro", et c'est aussi le patronyme de ses enfants), alors que j'avais toujours lu jusqu'à présent qu'il s'appelait Émile Le Scanff.
Elle a sollicité le témoignage des compagnons de route du chanteur, son contrebassiste Fañch Bernard et des chanteurs qui, à l'image de Gilles Servat, considèrent qu'il a "ouvert le chemin". Mais de quel chemin s'agit-il ? Si Glenmor est bien l'éveilleur de "la" conscience bretonne, on aurait aimé en savoir un peu plus sur ce que recouvre ce concept de "conscience bretonne" et sur ce qu'il représentait pour lui. Et l'on ne sait pas bien, après tout, ce qui l'a conduit à se revendiquer Breton à ce point.

Glenmor et la censure
Dans l'interview qu'il donne à "Bretons", Ronan Le Coadic présente également Glenmor comme celui qui "a vraiment été le premier" des chanteurs bretons (dans l'ordre chronologique) et comme "un éveilleur de consciences" : "c'était courageux, dit-il, dans une Bretagne qui était un peu somnolente sur le plan de la conscience d'elle-même et de l'identité."
Et quand on lui demande pour quelles raisons Glenmor paraît quelque peu oublié aujourd'hui, Ronan Le Coadic avance plusieurs explications, dont l'une concerne directement l'audiovisuel public : "il a vraiment été censuré toute sa vie, affirme-t-il. Si vous allez à l'INA, vous ne trouverez pas grand-chose sur lui. Il a été censuré explicitement. Il ne nous reste que très peu d'archives."
J'avoue que le propos m'a quand même un peu surpris, d'autant qu'il émane d'un chercheur réputé pour ses travaux de sociologie. Je me souvenais en effet de l'émission spéciale qu'avait diffusée FR3 en soirée au moment de la mort du chanteur, autour de Christian Rolland et avec son accompagnateur Fañch Bernard, Gilles Servat, Alan Stivell, le journaliste Pierre Duclos, et… pas mal d'archives.
J'ai donc fait une recherche rapide sur le site de l'INA-Atlantique sur le nom de Glenmor : il ne restitue pas moins de 137 références, dont la plus ancienne remonte à 1967, c'est-à-dire assez peu de temps après le démarrage de la télévision régionale sous forme d'un journal quotidien, et alors que des programmes régionaux ne commenceront à être diffusés qu'à partir de 1983. Il y a là Glenmor en invité d'honneur en 1983 justement, un portrait signé René Vautier, une carte blanche de 90' à Glenmor, une flânerie en compagnie de Roger Gicquel, des interviews, des reportages… et plusieurs émissions en breton.
Attention : je ne cherche pas à dire qu'il n'y avait pas de censure à l'ORTF dans les années soixante ou 70, ni même peut-être après. Un pigiste qui avait passé du Glenmor dans une émission de ce qui n'était sans doute pas encore Radio Armorique à l'époque avait lui-même été une victime collatérale de la censure dont était l'objet le chanteur : il avait aussitôt et définitivement été écarté de l'antenne. Mais prétendre qu'il n'y a "pas grand-chose" sur Glenmor dans les archives du service public et qu'il aurait été "censuré toute sa vie" ne me paraît pas non plus correspondre à la réalité.

affiche-festival-Glenmor-1024Un film et une semaine d'animations
Beaucoup reste encore à découvrir sur la vraie personnalité de Glenmor. Le personnage est multiple et complexe, et il a vécu plusieurs vies successives. Le film que lui consacre Philippe Guilloux est très attendu et s'intéresse lui aussi à "l'éveilleur" – c'est décidément une constante. Par sms, le réalisateur précise dans les termes suivants le sens qu'il donne à ce terme :

  • "éveilleur d’une prise de confiance des Bretons dans leur culture et leur identité, la fierté d’afficher leurs origines bretonnes. Eveilleur pour certains compagnons de route tels qu’Alain Le Nost qui reconnaît que Milig a joué un grand rôle dans sa carrière de peintre en lui donnant confiance en lui. Eveilleur du combat pour stopper l’exode  et en même temps pour faire revenir en Bretagne des forces vives : Xavier Grall est l’exemple le plus connu, mais il ne fut pas le seul."

Le film est construit à partir du témoignage de ses proches, notamment celui d'un copain de lycée, Xavier du Roscoat, et celui de sa première femme, Katell, mais aussi à partir de quelques archives. Le film va être projeté en salle et diffusé d'abord sur France 3 Bretagne, puis sur les télés locales.

L'association "Glenmor an distro" dont s'occupe Hervé Le Borgne organise une semaine d'animations à l'occasion du 15e anniversaire de la disparition du chanteur. Cette semaine débute samedi prochain, le 18 juin, à Maël-Carhaix et s'achèvera une semaine plus tard à Carhaix. Avec la participation, notamment, de Gweltaz ar Fur, Clarisse Lavanant, Laurence Meillarec, Nolwenn Korbell et la troupe Ar Vro Bagan.

Pour en savoir plus :

Glenmor l'éveilleur. Un film de Philippe Guilloux. Une co-production Carrément à l'ouest, France Télévisions, Tébéo, TV Rennes et TyTélé.

  • Diffusion sur France 3 Bretagne : samedi 18 juin, à 15 heures 25. Durée : 52'.
  • Projection : mercredi 22 juin à Carhaix, au cinéma Le Grand Bleu, à 21 heures. Durée : 1 heure 12'.
  • Diffusion sur Tébéo, TV Rennes et TyTélé : jeudi 23 juin. Durée : 1 heure 12'.

Philippe Guilloux me transmet les liens sur lesquels vous pouvez cliquer pour voir trois extraits de son film. Si tout le film est l’image des extraits, ça promet d’être fort. Katell a la flamme.

Ceux qui interviennent dans le film de P. Guilloux sont :

  • Katell, bien sûr, et leur fille Sterenn, qui s'exprime pour la première fois
  • Fanch Bernard
  • Hervé le Borgne
  • Gilles Servat
  • Xavier Du Roscoat
  • Yann Goasdoué
  • Laurence Meillarec
  • Alain Goutal
  • Alain Le Nost
  • Alice Surzur, compagne de Glenmor à la fin des années 50
  • Hervé Monbureau, qui a fourni des archives inédites venant compléter le film tourné par Milig lui même
  • Yann Puillandre...

Et en outre dans la version longue :

  • Jean Jacques Le Goarnig
  • Andréa Ar Gouilh
  • Nolwenn Korbell

Voir le programme complet du Festival Glenmor sur l'affiche ou sur le site : http://www.glenmor.net/

Commentaires
Y
Un minimum de conscience professionnelle de la part de la journaliste l'aurait amenée à vérifier "penaos 'oa kaieret" Milig : da lâret eo ez-ofisiel gant an "Etat-civil" (traduction pour les néo brittophones). Il suffit d'ailleurs d'allez voir sa sépulture : "famille LE SCANV". Voilà. Ce n'était pas bien difficile. <br /> <br /> Concernant M. Le Coadic, ses approximations et autres arrangements avec la vérité historique ne sont plus à démontrer. Il s'agit davantage d'un militant nationaliste (breton) d'extrême gauche plutôt que d'un scientifique, et je pense que l'intéressé ne prendrait d'ailleurs pas cela comme une injure. Nationaliste d'extrême gauche ! Une espèce rare, mais bien présente en Bretagne, tel un Stivell internationaliste et anti-frontières militant pour une Bretagne bien précisément limitée (hini he femp departamant !). Comprenne qui pourra !<br /> <br /> Bref. 25 ans après le départ de Milig, force est de constater que personne n'a vraiment pris la relève. Servat est bien pâlichon en comparaison, beaucoup d'autres ne font qu'entretenir leur fonds de commerce (Vassalo, Ebrel, Prigent et leurs sites internet quasiment sans langue bretonne... Et vous même, M. Broudic, resped deoc'h, qui ne faites que suivre cette tendance !). Cette langue bretonne en voie de disparition qui ne semble plus constituer qu'un argument marketing pour vendre des disques ou autres babioles pour touristes, alors que nos jeunes diplômés continuent de s'expatrier en dehors de la Bretagne, et que nos villes, grandes et moyennes, se dissolvent de plus en plus rapidement dans une espèce de melting-pot mondialiste dont on peut penser ce que l'on veut... sauf qu'il est breton !<br /> <br /> Alors, Milig, éveilleur des consciences, "ayant montré la voix" ? Non. Sublime dernier soubresaut d'une civilisation "war he zalaroù", da'm soñj-me.
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R
Merci beaucoup pour votre article tres respectueux envers Emile Le Scanf, dit Glenmor. Je suis Indien, vivant a Nouvelle-Delhi, mais depuis tres longtemps je suis attirer par les compositions de Glenmor. De temps a autres, je cherches des infos sur lui, mais je n'en trouve qu'assez rarement. J'ai meme effectue quelques beaux sejours en Breizh (surtout dans le pays interieur, loin des chemins touristiques) pour essayer d'imbiber et saisir ce que fut ce pays pour Glenmor. J'ai meme essaye un moment d'apprendre le Brezhoneg. <br /> <br /> <br /> <br /> Encore une fois, Trugarez dit Fanch.
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B
ben moi j'ai vu Glen sur scène à Lézar (drieux mais pas La Rochelle...) dans les 70's et Brassens était dans la salle... séquence émotion quand il lui a dédié une chanson ( ankouaet 'm'eus pehini ) en réponse "aux imbéciles heureux qui sont nés quelque part " ;-)))
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Le blog "langue-bretonne.org"
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Votre blog est impressionnant autant sur le fond que sur la forme. Chapeau bas !
Un correspondant occitan, février 2020.

Trugarez deoc'h evit ho plog dedennus-kaer. [Merci pour votre blog fort intéressant].
Studier e Roazhon ha kelenner brezhoneg ivez. Miz gouere 2020. [Étudiant à Rennes et enseignant de breton. Juillet 2020].

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